La croix de l'Egypte
Quartier Copte, vieux Caire - C’est un sujet tabou ici et pourtant tellement présent : les chrétiens d’Egypte et leur intégration. La population égyptienne compterait environ 10% de chrétiens coptes. Communauté chrétienne la plus ancienne et la plus importante du Moyen Orient, les Coptes sont toujours victimes de discrimination. Selon Christophe Ayad – correspondant de Libération au Caire de 1994 à 2000 et auteur de l’excellent « Géopolitique de l’Egypte » – la question copte est le véritable talon d’Achille de l’Egypte, le révélateur du rétrécissement de l’identité égyptienne à sa composante islamique. Car oublier les Coptes, dans le paysage égyptien, c’est oublier des millions de personnes et un très long passé. C’est en 42 après J.-C que Saint Marc fonda la première église d’Egypte. D’ailleurs, ironiquement, le mot « copte » signifie « égyptien ». En gros, les Egyptiens coptes sont aujourd’hui les descendants des Egyptiens qui ne se sont pas convertis à L’Islam, après la conquête arabe. Divorcé d’avec Rome depuis le concile de Chalcédoine de 451, les Coptes ne répondent aujourd’hui qu’à la seule autorité de leur patriarche orthodoxe d’Alexandrie, Chenouda III.
Direct descendants des Egyptiens du temps des pharaons, donc, les Coptes ne sont pourtant pas considérés comme citoyens à part entière. Une vérité dérangeante, car contraire à l’image chérie de « l’unité nationale égyptienne ». Et s’il est vrai que l’Egypte a connu un « âge d’or » de l’entente confessionnelle, au moment de la lutte contre le colonisateur britannique, l’union semble aujourd’hui bien lointaine. Malgré une place reconnue par la Constitution, les Coptes d’Egypte souffrent toujours de sérieuses discriminations. Simple exemple : la construction de nouvelles églises était encore récemment soumise à une loi datant de l’époque ottomane (qui s’est achevée en en 1817 !) et qui réclamait l’autorisation du chef de l’Etat. Aujourd’hui, c’est au Gouverneur local de donner son accord, ce qui ne garantit en rien, d’ailleurs, davantage d’équité. Un chiffre, cette fois : les Coptes ne représenteraient que 1,5% des emplois de la fonction publique. Les postes de gouverneurs locaux, de doyens d’universités et la haute hiérarchie militaire leurs sont refusés. Ils ne peuvent pas non plus enseigner l’Arabe – qu’ils maîtrisent forcément aussi bien que n’importe quel Egyptien – après l’école primaire. Leur représentation politique suit évidemment cette tendance à l’effacement. A la veille du premier tour des législatives, le parti Parti National Démocrate (PND) au pouvoir ne présente que deux candidats coptes dans ses rangs, sur un total de 444.
Victimes d’une discrimination profonde au quotidien, les Coptes redoutent davantage les poussées de violence sporadiques, généralement déclenchées par des groupes islamistes en lutte avec l’Etat. En s’attaquant ainsi à une minorité, les Islamistes s’en prennent directement à l’Etat, alors pris en étau entre le devoir de protéger une partie de sa population et les reproches de favoritisme que pourrait lui faire la majorité musulmane. Derniers faits en date – extrêmement graves : pas plus tard qu’il y a deux semaines, des manifestations anti-Coptes ont eu lieu à Alexandrie. Au centre du conflit, une pièce de théâtre attribuée à l’église Saint-Georges d’Alexandrie et jugée insultante envers l’Islam. Certainement encouragés par quelques groupuscules extrémistes, les manifestants s’en sont pris aux intérêts coptes, brûlant des voitures et jetant des pierres sur des commerces et des églises. Plus grave encore, trois personnes auraient trouvé la mort dans ces incidents d’un autre âge, que l’on penserait oublié en Egypte.