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Don't you Caire ?
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Don't you Caire ?
16 novembre 2005

Sans terre au Caire [1/2]

Mohandessine, place Mostapha Mahmoud –

napol_on1Parce qu’il est resté plus de dix mois dans le ventre de sa mère et que la pauvre a beaucoup souffert, ils ont décidé de l’appeler Napoléon. Au début, c’était une blague des hommes. Ils disaient que Napoléon aimait rester longtemps sur place et faire souffrir les gens. Mais le jour de ma naissance, quand la sage femme a demandé le prénom du bébé, la blague est restée. Devenu père à son tour, Napoléon garde le sens de l’humour. Son petit dernier n’a que quelques semaines ; il est né ici, dans le camp. Napoléon a décidé de l’appeler Kofi Annan. J’espère au moins que ça lui portera chance, lance-t-il sans trop y croire, pendant que sa petite Marcy ne tient pas en place, excitée par ce visiteur blanc et son appareil photo. Marcy et Kofi Annan, deux des 1500 bambins à vivre dans ce camp de fortune, en plein cœur d’un des quartiers les plus huppés du Caire.

Cela fait maintenant deux mois que des milliers de réfugiés soudanais occupent un minuscule jardin de Mohandissine, à quelques mètres du Haut Commissariat des Nations-Unies pour les Réfugiés (UNHCR). L’endroit est emblématique : l’instance internationale est sensée gérer le dossier des réfugiés soudanais. Mais depuis qu’un « accord de paix » a été signé l’été dernier, l’UNHCR leur refuse le statut de réfugié. Un responsable local de l’UNHC déclarait même récemment dans la presse : « il n’existe actuellement au Soudan aucune menace pour la vie de ces citoyens soudanais. Comment peut-on leur accorder le statut de réfugié ? » Un discours qui fait bondir Napoléon : « Ils disent que nous pouvons rentrer chez nous, que la guerre est finie, qu’on ne risque plus rien. Pourquoi ne nous renvoient-ils pas, alors ? Pourquoi ne nous mettent-t-ils pas dans des camions pour nous renvoyer là-bas ?! Parce qu’ils savent très bien que la guerre n’est pas finie et qu’on se fera égorger. D’ailleurs, pas plus tard qu’il y a quelques semaines, l’Onu a réitéré ses sanctions contre le Soudan. Est-ce qu’on sanctionne ainsi un pays normalisé ?! »

onuEn tout cas, depuis le mois de septembre, les négociations semblent rompues. L’UNHCR se déclare incompétente et dénonce la passivité des autorités égyptiennes, qui se contentent de quelques vagues promesses d’une résolution future.

En attendant, les Soudanais s’organisent et sont « prêts à aller jusqu’au bout ». Depuis cinq jours, le ton s’est durci, avec la décision de mener une grève de la faim, tant que leurs revendications ne seront pas examinées sérieusement. Une vingtaine de points, alignés sur un prospectus, pour qui daignera le lire. En tête des revendications, le refus de retourner au Soudan, mais le refus également de rester en Egypte. Car ici, si les parcours diffèrent selon l’Histoire et les histoires, tous aboutissent à la grande désillusion égyptienne. L’Egypte que beaucoup d’entre eux voyaient comme la sœur aînée, la voisine protectrice. La plupart de ces réfugiés sont arrivés ici par voie terrestre – à pied ou en train – à a fin des années 90. Regroupés dans les quartiers les plus insalubres, sans statut légal pour la majorité, c’est la grande misère au quotidien.

Si  les Soudanais ont décidé d’occuper la rue, c’est aussi parce qu’ils n’ont nulle part où aller. « Même quand on arrive à réunir la somme, on nous refuse les appartements. Là où on demande 2000 livres de loyer à un Egyptien, on en réclame 6000 à un Soudanais ! Les rares qui travaillent ici sont domestiques. On les traite comme des esclaves et ils sont payés une misère…quand ils sont payés » Napoléon a du mal à ne pas s’emporter. Parce que son histoire, il la raconte tous les jours ; parce qu’il est usé de dormir à la belle étoile, entre deux avenues ; parce que cette promiscuité l’oppresse, entre les gamins sales qui pleurent de faim, les mouches et les provocations qui viennent de la rue, juste derrière la barricade de fortune. D’ailleurs, pour se protéger, les Soudanais se sont organisés : les quatre accès au camp sont strictement surveillés, les entrées filtrées. Plan déplié à même le sol, baguette à la main, Wilson fait penser à ces chefs de groupes rebelles, qu’on imagine embusqués dans les endroits désertiques. Mais nous sommes en plein cœur du Caire. Et Wilson raconte, schémas à l’appui, « l’assaut » qu’aurait tenté un groupe d’Egyptien contre le camp, il y a de ça quelques nuits. Ils ont provoqué une bagarre ici, du coté de l’avenue, pour faire diversion. L’idée était de nous surprendre par derrière… avec le silence complice des policiers.

camp13

Difficile de faire la part des choses. Mais derrière les éventuelles exagérations, se cache tout de même une réalité délirante. Impensable, par exemple, de laisser entrer un Egyptien au sein du camp. Les gorilles en poste aux entrées n’ont pas le sourire facile. « Les Egyptiens nous détestent. Dans la rue, ils nous lancent des pierres, insultent nos femmes et nos mères, nous accusent de vol. Et puis combien de nos filles sont violées, victimes d’abus par leurs employeurs ?! » Pour appuyer ses propos, Napoléon pointe du doigt « le balafré », un réfugié que l’on a tenté d’égorger en pleine rue, il y a quelques mois. Une cicatrice lui lacère le cou, stigmate indélébile.

camp3Dehors, c’est la police égyptienne qui veille. Des groupes de policiers sont postés tous les dix mètres, adossés à même les clôtures du camp. De l’autre coté du trottoir, des véhicules blindés stationnent protègent le siège de l’UNHCR. Mais jusqu’à présent, les réfugiés de Mohandessine mettent un point d’honneur à ce que leur sit-in ne dégénère pas. Histoire de sauver ce qui peut encore leur servir de crédibilité. Pas facile, quand on est dépossédé de son humanité.

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