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Don't you Caire ?
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Don't you Caire ?
17 novembre 2005

Sans terre au Caire [2/2]

Mohandessine, place Mostapha Mahmoud - A l’intérieur du camp, il faut s’organiser pour survivre. Première règle : marcher pieds nus, pour éviter de salir les nattes au sol. Quelques allées ont été réservées aux déplacements, minimes pour la plupart. Sans emploi, sans papier et maintenant en grève de la faim, les activités sont rares. Dans la zone qui leur est réservée, les camp_hommes lisent les journaux et discutent entre eux. Les plus éloquents, souvent anglophones, sont ceux qui mènent l’action. Napoléon en est. Intarissable quand il faut faire face aux journalistes, il ne se berce pas d’illusions : « Ceux qui nous intéressent, ce sont les journalistes étrangers. Les Egyptiens déforment nos propos, racontent dans les journaux que nous ne sommes là que pour l’argent et que nous voulons émigrer aux Etats-Unis » CNN est venu filmer hier, mais l’enthousiasme ne gagne pas les troupes.

De l’autre coté du camp, les femmes s’occupent des enfants, préparent ce qui peut être préparé pour manger. Le linge sèche sur les barricades ou pendu à des bouts de ficelle. Avec un peu de recul, la scène est ridicule, sortie tout droit d’une composition de mauvais goût : encerclé par les hauts buildings de la ville, adossé aux vitrines des grands magasins, il y ce camping de la misère. Un campement de rien du tout, sans baraques ni cartons, où les valisent s’entassent dehors, à même le sol. Et on se demande même ce qu’elles pourraient bien contenir.

Entre la zone des femmes et celle des hommes, au milieu du camp, une espèce d’arbre où les huit porte-indiff_renceparole, sortes de « chefs » improvisés, guident les questions du jour. Jetée à terre, une boite en bois recueille quelques billets perdus et les revendications écrites. Les propositions portent sur tout et n’importe quoi. La plupart du temps, elles ne sont pas signées. Tous les cinq ou six jours, on les lit à voix haute, on les discute publiquement et puis on décide à main levée. C’est notre démocratie directe, s’enorgueilli Napoléon.

La misère partagée, ça resserre les liens. Ici, chrétiens et musulmans ont laissé leurs différences à l’entrée, avec leurs chaussures. Et comme il faut survivre ensemble, les quelques économies sont mises en commun, pour acheter de quoi se nourrir. Pour la toilette, les réfugiés pouvaient profiter des sanitaires de la mosquée voisine. Chaque matin, les toilettes du lieu saint étaient envahies par les femmes, le savon à la main et des gosses plein les bras. C’était pendant le mois de Ramadan, mais les 30 jours de piété écoulés, les portes se sont refermées. Des fidèles se seraient plaints de ne plus pouvoir faire leurs ablutions. Une précarité qui favorise les maladies, comme la tuberculose, qui serait apparue au sein du camp et aurait déjà emporté quelques-uns des plus faibles. Depuis leur installation, six réfugiés ont trouvé la mort, cinq vieillards et une gamine. Mais la vie s’enracine dans les endroits les plus durs. La vie qui s’adapte et qui reprend ses droits, coûte que coûte. Hormis le petit Kofi Hannan, quatre enfants ont vu le jour ici, sans aucune assistance médicale. Des gosses qui n’ont pas trop l’air de se rendre compte de ce qui leur arrive. Le camp est leur terrain de jeu et les rires sont nombreux.

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Combien sont-ils réellement ? 3000, 5000, 7000 ? Difficile de savoir. Selon des chiffres officiels, il y aurait un peu plus de 14.000 réfugiés soudanais en Egypte, 73% de l’ensemble des réfugiés. En tout cas, les rares espaces se comblent quand la nuit tombe. Les rares qui travaillent rentrent du boulot. Quelques Soudanais « en règle » viennent soutenir leurs frères. Et puis on se serre, pour se réchauffer. Même au Caire, les nuits de novembre sont fraîches.

Une seule fois, les représentants du bureau de l’Onu sont venus visiter le camp, pourtant au pied de leur immeuble. Les responsables auraient demandé aux réfugiés de leur présenter leurs cartes de réfugiés. C’est justement ce qu’on réclame ! Napoléon a lâché cette évidence comme on dépose un fardeau porté trop longtemps ; le corps las, la tête penchée. Et alors qu’il entame pour la énième fois le récit de sa fuite, pour des journalistes étrangers, le petit Kofi Hannan, lui, s’endort paisiblement, le dos tourné au camp…

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Commentaires
S
En lisant ces deux parties de "Vies au Caire", une seule idée m'habite: Prendre ma caméra pour donner aussi un témoignage! Bravo pour ces articles!! Ton sens du détail rend la description du camp très forte ... Des Hommes aux Femmes, en passant par les enfants, tes mots transforment la Réalité en sursaut d'Humanité!
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