Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Don't you Caire ?
Don't you Caire ?
Publicité
Don't you Caire ?
14 décembre 2005

Atteindre Tombouctou [1/3]

Carnet de route - Impossible de quitter le Mali sans caresser le mythe d’atteindre Tombouctou. Tombouctou, la cité mystérieuse, la ville du désert, l’énigme qui résista aux explorateurs européens jusqu’au XIXe siècle. Tombouctou qui, raconte-t-on, régnait sur un empire deux fois plus grand que le Mali actuel. Une cité mystique, assise sur son or et construite de bibliothèques et d’universités. La première ville au monde qui n’aurait compté aucun analphabète dans ses rues… On reviendra sur la légende. Aujourd’hui, la réalité est crûe : Tombouctou est une ville moyenne, sans rien, abandonnée à sa misère, aux portes du Sahara, à plus de mille kilomètres de Bamako. Aucune route n’y mène vraiment, le goudron disparaît à 200 kilomètres de la ville. Restent alors les pistes, le fleuve ou l’avion. Tout dépend de la Tombouctou que l’on courtise. La contemporaine, forcément désenchantée, on y va en deux heures, un aller-retour dans un joli coucou. La mythique, forcément immortelle, on n’y va pas. On l’atteint. Cette Tombouctou là, c’est toute la route qui y mène, c’est sur le chemin qu’elle se dessine : une fois arrivé, elle est déjà derrière.

1er jour : Bamako – Mopti. Départ en bus, en début d’après-midi. La première partie du trajet est un régal : la route goudronnée file à travers la campagne malienne. Les petits villages en terre se succèdent, au rythme des haltes chantantes, où les filles des villages prennent le bus d’assaut avec leurs marchandises colorées. Le paysage est étonnamment vert, avec quelques arbres millénaires en bord de route et des plantations de coton blanchissant. Il y aura les pauses-prière, aussi, pour laisser les voyageurs s’agenouiller sur le bas coté, le front collé à la poussière ocre. Après une pause-dîner, dans la ville de Ségou, c’est reparti. Le bus assoupi trace sa voie sous une pluie d’étoiles. Aucune lumière à l’horizon, l’électricité est restée derrière nous. Et puis c’est la panne, inévitable. Depuis plusieurs heures, on murmurait entre les sièges que le moteur ne tiendrait pas. Il est deux heures du matin et nous sommes arrêtés au milieu de nulle part, entre Bamako et Mopti. Avec quelques courageux, on pousse le bus, qui crache quelques nuages et s’éteint. Cette fois, il n’y a vraiment plus que les étoiles et nous. On attendra le dépanneur pendant plusieurs heures. Quand je me réveille, nous arrivons à Mopti. Il est 5 heures du matin et ce premier tronçon m’aura déjà pris une quinzaine d’heures. Le ton est donné.

la_pinasse2ème jour : Mopti – Fleuve Niger. De Mopti, je n’aurai vu que les berges du fleuve Niger. A peine debout, je pars à la recherche d’une pinasse marchande qui puisse m’emmener à Tombouctou. J’ai de la chance, une embarcation  part dans l’après-midi. Les négociations sont rapides, je fais quelques courses pour le voyage – essentiellement de l’eau, une moustiquaire et une paillasse pour m’allonger. L’embarquement se fait en fin d’après-midi. La pinasse est un vieux rafiot en bois et en taule, poussé par un ancien moteur de camion. Mis à part la trentaine de passagers, l’embarcation emporte surtout de la marchandise. Des matelas, du ciment, des ustensiles en plastique et toutes ces bricoles qu’on ne trouve pas loin des villes. Je m’offre le « luxe » de voyager à l’étage, c’est à dire entre deux plaques de taule ondulée, entre lesquelles il faut avancer courber, mais où, au moins, je n’aurai pas le nez dans le compartiment du bas, qui sert à la fois de salle des machines, de cuisine collective et de salle de bain (un trou on_embarquedans le plancher fait office de toilettes. Le fond de la cuvette se trouve donc au fond du fleuve) Grosse erreur, je n’ai pas prévu de couverture et je vais vite le regretter. Sur le fleuve Niger, avec le vent du bateau qui file, les nuits sont glaciales ; je ne dormirai presque pas. Deuxième erreur – et c’est mon estomac qui m’en voudra – j’ai donné un supplément au capitaine, pour pouvoir profiter des repas de l’équipage. Trois fois par jour, dès le réveil, j’aurai le droit au même plat immangeable : du riz infecte, étouffant, trempé dans un jus de poisson dont l’odeur ne m’a toujours pas abandonné…

en_attendant1

Mais pour l’heure, je me délecte encore du spectacle grouillant de l’embarcadère, en attendant que la pinasse ne largue ses amarres. Mobylettes à part, l’activité du petit port fluvial n’a sans doute pas changé depuis des siècles. Les marchandises arrivent en vrac, transportées à dos d’âne, en charrette ou à même la tête des porteurs équilibristes. Au milieu du va et vient incessant des pirogues qui chargent et déchargent, les femmes font leur vaisselle dans le fleuve, courbées en groupes de commères. On lave le linge aussi, pendant que des gamins crasseux pêchent avec un fil attaché au doigt. Les vrais pêcheurs - les hommes – eux, se sont un peu éloignés de la berge. Funambules sur leurs bouts de bois, ils font danser leurs filets dans les vapeurs du fleuve.

pirogues_contre_jourLa pinasse s’ébranle enfin. Il était temps, le soleil est proche de la noyade. La suite, elle se vit les yeux grands ouverts, le dos calé contre un sac de charbon, à tourner lentement les pages de l’horizon malien. Le bleu du fleuve qui  imbibe le buvard rouge des berges ; la poussière ocre qui cède sa place aux rizières sans fin, où des silhouettes se font des courbettes, de l’eau jusqu’aux genoux, entre le ballet des rapaces d’eau et la nonchalance des gros buffles mal lunés.

Souvent, la pinasse fait halte devant un petit village isolé. C’est un peu l’événement de la semaine, pour ces gens du bout du monde. Les petites pirogues encerclent vite le bateau. A leur bord, les filles du village ravitaillent les passagers de leurs productions locales : poisson séché, racines, tubercules, gâteaux-maison, jus de goyave, riz au lait de chèvre… Pendant ce temps, on débarque quelques sacs de ciment et on se réapprovisionne en bois.

1ervillage2

Il faut aussi faire halte trois fois, pour payer le péage fluvial, que rien ne distingue au milieu des cases en terre séchée. L’officier local vient chercher le capitaine en pirogue, la transaction se fait sur la plage, sous une cabane en palmes. En début de soirée, alors que les étoiles sont déjà trop nombreuses pour pouvoir toutes se refléter dans le fleuve, le moteur flanche. Pas question de « pousser » le bateau ; on attendra donc qu’une équipe reparte sur Mopti, chercher la pièce manquante, et la rapporte, ce qui prendra toute la nuit.

maison_isol_e1

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité