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Don't you Caire ?
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Don't you Caire ?
16 décembre 2005

Atteindre Tombouctou [2/3]

3ème jour : Fleuve Niger. Au petit matin, les berges du fleuve ont disparu. Le regard a beau scruter le lointain, la terre n’est plus. A mi-parcours entre Mopti et Tombouctou, la pinasse traverse le lac Debo, immense étendue d’eau douce qui, l’espace d’un instant, se déguise en mer intérieure. Quand son embouchure se profile, c’est un désert vert qui approche.

caillouroseDes champs noyés à perte de vue, desquels n’émergent que quelques rochers roses, miettes sans doute égarées, à l’époque où les dieux construisaient des montagnes à Douentza, à une cinquantaine de kilomètres de là. Dans cette végétation aux racines aquatiques, les pirogues des pécheurs semblent glisser sur l’herbe. Et à observer cet oiseau, debout sur ses pattes, à même la surface de l’eau, on imagine l’énorme mammifère sous-marin qui lui sert discrètement de reposoir. En effet, au passage de la pinasse, deux oreilles d’hippopotame font signe et s’éclipsent. A mesure que le fleuve retrouve ses dimensions et que le soleil se dilate toujours plus haut, la végétation perd du terrain. Les berges sont plus sèches, des dunes de sables font leur apparition. A bord, pour lutter contre la chaleur, on ne fait rien. Impassibles, les passagers restent assis et boivent du thé brûlant. Sur la berge qui défile, les tentes rondes, en peau, remplacent de plus en plus souvent les cases en terre. Les scènes du quotidien que l’on vole de coin de l’œil semblent tout droit sorties de livres d’Histoire. On y voit des gamins nus qui courent au bord de l’eau, alors que quelques femmes en pagne rincent des tissus dans le fleuve. En toile de fond, les tentes – où l’on imagine les hommes réunis – parfois un maigre troupeau et puis plus rien. Nouvelle nuit à bord, avec la promesse du capitaine d’arriver à destination au petit matin.

pirogues_village44ème jour : Fleuve Niger – Tombouctou.  Mauvaise surprise dès le petit matin : c’est vrai, la pinasse est arrivée à destination, mais nous ne sommes pas à Tombouctou. Le village qui se réveille s’appelle Dire. Il me faudra trois heures avant de comprendre cette évidence. Trois heures à observer les hommes décharger le rafiot jusqu’aux cales, trois heures avant de réaliser que le bateau ne repartira pas. Inutile de chercher le capitaine, ça fait bien longtemps qu’il s’est enfoncé dans le village. Un village qu’on devine dense, derrière cette minuscule plage qui lui sert de porte sur le monde matériel. Malesh (pas grave), comme disent les Arabes, je saute dans une autre pirogue, bien plus petite, qui doit partir dans l’heure. Cette fois, le chargement est sommaire : des tonnes de ciment en sacs et une dizaine d’âmes perdues. La coque est percée de partout et un type passera tout le voyage à virer l’eau, avec un sceau, qui s’engouffre dans la coquille de noix. Fin de parcours à raz de l’eau, donc, pour un poste d’observation privilégié. Le grand diaporama reprend, avec ses longues séquences de paysages terre et vert puis, soudain, imprévisibles, ses sauts d’humeur en forme de rochers improbables ou de mirages en sable.

dunesAssis sur les talons, à même la tranche de la coque, un touareg m’offre la représentation parfaite du personnage mythifié : profil d’aigle, teint clair comme celui des ses cousins d’Arabie et turban emmêlé, l’homme a tellement défié le soleil, que le blanc de ses yeux en est devenu marron, ses pupilles brillantes comme celles d’un fiévreux. Cette figure du touareg est fascinante. Ses seuls mouvements sont réservés à la préparation du thé, qu’il sort d’on ne sait où, avec tous les ustensiles, comme si les braises déjà rouges attendaient au fond de sa poche. Le reste du temps, seuls ses yeux donnent signe de vie, mais rivés tellement loin derrière l’horizon, qu’on ne songerait à les suivre, de peur de se perdre. Je l’imagine qui rentre enfin sur ses terres, après une trop longue absence. Il va retrouver ses dunes brûlantes, ses troupeaux et ses routes des puits. Peut-être appartient-il aux descendants de Bouctou, cette femme de nomade qui, forte de l’intuition qu’elle y trouverait de l’eau, fit creuser un puits au milieu du désert, là où se dresse aujourd’hui la ville de Timbouctou, « le puits (tim) de Bouctou » D’ailleurs, s’il n’en montre rien, l’homme ne doit pas être à son aise sur cette pirogue. Les marins gardent rarement les moutons…

C’est en fin d’après-midi que l’embarcadère de Tombouctou se profile enfin. Avec ses cinq baraques en durpecheur_seul, c’est le moins charmant des endroits posés en bord de fleuve. Sauf qu’avec son bac qui assure la traversée des camions et ses jeeps qui font la navette jusqu’en ville, c’est le terminus attendu. D’ici, il reste vingt kilomètres de cratères sablonneux, avant d’atteindre le mythe. A bord, l’excitation de l’arrivée se transforme en vent de panique : ça y est, mon touareg a enfin bougé ! Il fait de grands gestes, même, à mouliner l’air comme un diable, pour ne pas sombrer. Trop loin dans sa méditation, l’homme du désert est passé par-dessus bord et personne ne l’avait remarqué. Demi-tour et repêchage in extremis. C’est bizarre comme tout de suite, penaud et grelottant, les voiles collés aux os, la stature de l’homme mystérieux en a pris un sacré coup…

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Commentaires
A
...j'te rassure Fred, mais petit souci de micro, qui devrait être réglé dés mon retour en Europe…début de semaine prochaine...<br /> D'ailleurs, rendez-vous est pris?
S
... Que dire après tes mots! Ton sens du détail rend la description superbe. Au fil de tes lignes, tu me donnes l'impression de tourner à chaque fois une nouvelle page d'un roman: Le tien! "jamil gidane"
F
Salut Arno,<br /> Juste un petit mot pour t'assurer que tu est très lu. Seulement, c'est pas facile de placer des commentaires après ça. <br /> A bientôt !<br /> PS : Tiens, tu ne nous envoies plus de sons ?
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