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Don't you Caire ?
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Don't you Caire ?
17 décembre 2005

Atteindre Tombouctou [3/3]

mosqu_e5ème jour : Tombouctou. Avec son sable en suspension et ses murs à l’abandon, Tombouctou ressemble à un sablier qui se serait brisé. Le temps ne s’y écoule même plus. Sorti de l’artère principale, qui traverse la ville sans même la regarder, ce n’est qu’enchevêtrement de passages chaotiques, ensablés, défoncés, au  grès des constructions sans charme. Un minuscule marché propose sur ses étales ce que les alentours ont à offrir : rien ou si peu. La ville compterait aujourd’hui environ 30.000 habitants, majoritairement touaregs, ou fils de touaregs, lointains descendants des nomades qui bâtirent la ville.

Mises à part les deux mosquées en terre, en forme de termitières géantes, il ne reste rien de ce qu’a pu être la cité aux toits d’or, que l’explorateur René Caillé croquait en secret, du haut d’un minaret, le cahier de dessin dissimulé dans un Coran. Les centaines de bibliothèques ont cédé la place à un pauvre bookshop pour touristes et les seuls savants qui ont survécu sont ceux qui maîtrisent l’art du rabattage. A chaque coin de rue, on se bouscule pour profiter du visiteur. A Tombouctou, tout le monde est guide, propriétaire de chameau ou spécialiste de virées en jeep. Les enfants qui font leur classe dans le sable apprennent à mendier avant de savoir compter. Le seul moment de spontanéité peut s’observer le soir, à l’heure du « feuilleton ». Quand le sitcom mexicain commence, c’est la ruée générale vers les postes de télévision. Des attroupements de cinquante personnes, gamins turbulents et vieux desséchés, mamans voilées et rabatteurs polyglottes. Tous agglutinés en silence, à suivre les fascinantes histoires de cœur de Pedro et Carmelina. Décidément, la ville a un petit quelque chose de cassé.

march_Alors, pour respirer, on s’écarte, on dépasse les campements de bergers et leurs tentes en formes d’igloo, on enjambe l’étendue d’immondices qui tapisse le seuil du désert et on s’en va s’asseoir sur une dune. Là, face au gros ballon rouge qui se dégonfle, on se prend à rêver à la Tombouctou de René Caillé. Si l’homme est tellement connu ici, c’est parce qu’il a été le premier Européen à atteindre Tombouctou et à en revenir vivant. C'était en 1828. Combien avant lui s’y étaient risqués ? On n’en sait rien, mais c’est l’histoire du dernier candidat – un britannique nommé Alexander Gordon Laing, qui décida le jeune René Caillé à tenter l’aventure. Laing serait parvenu à pénétrer dans la cité interdite, mais sur le chemin retour, il fut stoppé par des touaregs. Incapable de répondre à leurs questions et donc de les rassurer sur ses intentions, l’Anglais aura la gorge tranchée. Quelques mois plus tard, fort de cette expérience, René Caillé se lance à la poursuite de Tombouctou. Il s’arrête quelques temps en Mauritanie, où il apprend des rudiments d’Arabe et mémorise des versets du Coran. Le teint brûlé par le soleil et habillé à la mode locale, l’explorateur peut désormais changer d’identité : pour le reste de son voyage, il sera un Egyptien, adopté par des Français, à la recherche de proches résidant à Tombouctou. Le stratagème est le bon. Après plusieurs mois de voyage, Caillié atteint Tombouctou et convainc les Touaregs de le laisser entrer. Là, pendant vingt jours, il couchera sur papier ses impressions et ses croquis, premiers regards posés par un Occidental sur la ville de légende. De retour en France, après une traversée infernale du Sahara, qui le laissera malade à vie, Caillié est traité en héros, empochant au passage les 10.000 francs promis au premier explorateur qui reviendrait vivant de Tombouctou. Aujourd’hui, tous les gamins de la ville ont le même nom sur les lèvres, la même histoire apprise par cœur. C’est leur gagne pain à eux.

camion6ème jour : Tombouctou – Bamako. Départ à la fraîche, au beau milieu de la nuit. Après avoir traversé le Niger sur un bac, la jeep fonce sur les pistes, direction Douentza, là où le goudron existe. En 10 heures de traversée du désert, à douze dans une jeep prévue pour sept, on ne voit rien, on sent tout. Alors on imagine le relief de la piste, au grès des bonds qu’on fait à bord.

douentza

L’arrivée à Douentza est marquée d’une borne de taille : la grande falaise, point de départ du massif qui délimite le territoire du pays Dogon, de l’autre côté de la montagne, où les hommes vivent toujours dans leurs villages trogolytes, percés dans le roc. Passé ce cap, c’est la grande ligne noire sur terre rouge, jusqu’à Mopti. Cette partie du pays est toujours désertique, grands espaces laissés libres aux immenses troupeaux de moutons et de vaches maigres. 

troupeauArrivé à Mopti en milieu d’après midi, où un bus soi-disant « express » devrait me permettre de boucler le chemin retour dans la nuit. C’était sans compter le troupeau de moutons, ficelés et empaquetés vivants dans des sacs de riz (!), que le car transporte dans ses soutes. Le voyage vers Bamako se fera donc en pointillés, entre les haltes dans les villages, pour échanger, marchander et récupérer de nouvelles bêtes. Je n’ai toujours pas compris s’il s’agissait d’une cargaison légale, d’un extra du voyagiste, ou pourquoi pas de la dote qu’un riche berger de Tombouctou envoyait à sa belle retenue en ville. Bamako que l’on atteindra le lendemain matin, 26 heures après mon départ de Tombouctou.

La boucle est bouclée, j’ai dessiné ma Tombouctou.

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